L’impact de la théorie des couleurs sur l’impressionnisme
Les découvertes du chimiste Michel-Eugène Chevreul sont d’une importance majeure. Directeur de la Manufacture des Gobelins (confection de tapisseries), il a publié ses leçons de chimie appliquée à la coloration (1828-1831) et plus tard son rapport sur la loi du contraste simultané des couleurs et sur la combinaison d’objets colorés de 1839 a examiné les liens entre sa loi et la peinture. 15 ans plus tard, déjà très âgé (il est décédé à plus de 100 ans), son rapport sur les couleurs a finalement étudié leur application aux arts industriels à l’aide de cercles chromatiques. Ces cercles, inventés par Chevreul pour la représentation, ont classifié la couleur dans la peinture de façon exacte et pratique et étaient au nombre de 72 couleurs définies, suivies de 20 autres pour les nuances intermédiaires.
Comment a-t-il procédé ?
Il a divisé les couleurs en primaires (jaune, rouge et bleu), et en binaires, celles formées de deux couleurs comme le orange, le vert et le violet. Il existe une couleur dite complémentaire pour chaque couleur binaire, il s’agit de celle qui n’est pas comprise dans cette dernière (le bleu pour le orange, le rouge pour le vert et le jaune pour le violet).
Après avoir observé que la juxtaposition d’objets colorés modifie leur nature optique, il a formulé la Loi du Contrastes Simultané des Couleurs. Si deux bandes en papiers de même couleur, mais de nuances différentes, sont placées parallèlement l’une sur l’autre, la partie de la bande la plus claire la plus proche de l’autre bande apparaît plus claire qu’elle ne l’est, alors que la partie correspondante de la bande la plus foncée semble plus sombre.
Les conséquences de cette découverte
Avec l’étude l’une après l’autre des 7 couleurs prismatiques (rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo, violet) combinées avec le blanc, le noir et le gris, Chevreul a démontré que 2 bandes comme celles décrites précédemment changent toujours de manière à ce que chaque couleur tend vers sa couleur complémentaire et que, si les deux bandes juxtaposées se retrouvent colorées par un élément commun, quelle que soit sa nuance, l’élément commun a tendance à disparaître.
Ainsi, la loi du contraste simultané rend possible de voir les effets du placement d’un objet coloré près d’un autre. En résumé, chaque couleur a tendance à donner sa couleur complémentaire à des couleurs voisines, et si deux objets ont une couleur en commun les mettre côte à côte a comme conséquence une diminution considérable de l’élément commun.
Les différents états de conscience visuelle
Chevreul a également étudié les différents états de conscience visuelle. Il a appelé contraste successif le phénomène qui se produit lorsque les yeux, après avoir été exposés pendant un certain temps à un ou plusieurs objets colorés, voient chaque objet changé par sa couleur complémentaire, et contraste mixte lorsque les yeux se fixent sur une première série de couleurs puis une seconde, leur vue de la deuxième série est diminuée, neutralisée par les effets de la première.
Les impressionnistes tenaient compte de ces transformations de la vue et les nouveaux moyens qu’elles offrent, parfois de façon incomplète, ou alors d’une manière très méthodique. Pourtant ils n’étaient pas scientifiques. Ils appliquaient ces moyens et découvertes dans leur propre interprétation, mais trouvaient indubitablement en eux une garantie supplémentaire. Cela les intéressait dans la mesure où cela confirmait leurs propres découvertes empiriques et s’ils pensaient qu’elles étaient appuyées par des théories scientifiques correctes, ils entreprenaient de nouvelles recherches. De ce fait, cette méthode expérimentale tout à fait rationnelle de créer de la lumière par la décomposition de tons les intéressait et les aidait dans leur peinture ; ils illustraient mieux un monde d’émotions personnelles, subjectives, magiques.
Ce qui rend les impressionnistes différents est cet unique mélange de science et de liberté, qui a pour autre conséquence de restreindre leur groupe tout comme la possibilité de le rejoindre (ceci a changé à l’arrivée du néo-impressionnisme). C’est pourquoi j’ai limité cet article à une poignée d’individus à forte personnalité : Edouard Manet (1832-1883), Camille Pissarro (1830-1903), Edgar Degas (1834-1917), Claude Monet (1840-1926), ainsi que leurs collaborateurs : Berthe Morisot (1841-1895) ; Alfred Sisley (1839-1899), Frédéric Bazille (1841-1870) et Auguste Renoir (1841-1919) du studio Gleyre ; Armand Guillaumin (1841-1927) et Paul Cézanne (1839-1906) de l’Académie Suisse ; Gustave Caillebotte (1848-1894).
Ceux qui ont participé aux expositions du groupe de façon décousue grâce à Degas n’en feront pas partie.
J’aborderai dans un prochain billet ce que fut la réaction du public face aux tableaux impressionnistes.